LE BEAUJOLAIS
C’est une région que j’affectionne particulièrement car j’ai habité à ses portes de longues années, et sous ses airs légers et frivoles, elle cache toutes sortes de perles insoupçonnées : du vin jeune tellement agréable dont la bouteille se vide rapidement sans avoir le temps d’y penser, au cru élégant charnu et profond que l’on peut garder plus de 10 ans … Alors une fois n’est pas coutume, au lieu de vous parler d’une bouteille ou d’un vigneron, je vous propose un survol le plus complet possible de cette magnifique région viticole.
S’il est en effet réputé pour son côté léger, facile à boire, convivial, sans complexe et qu’il constitue souvent le premier vin rouge qu’on boit en France pour habituer notre palais avant d’approcher des vins plus denses, le beaujolais offre aussi des vins avec du corps, dont 10 crus et des vins de garde, petits trésors hors norme bichonnés par des vignerons de haut vol !
Même si elle a été rattachée à la Bourgogne en 1930, cette région viticole ne lui a pas vendu son âme ! Géographiquement parlant, le beaujolais s’étend du nord de Lyon jusqu’à Macon sur plus de 14 000 hectares, caractérisés par une succession de collines et des variations de sols issues d’une extraordinaire histoire géologique : argiles, calcaire, schiste, granit, roches volcaniques, autant de diversité qui permet à chaque cru d’afficher un caractère unique !
Il a aussi acquis sa notoriété première grâce /ou à cause de ses vins vendus « en primeur » et de la tradition instaurée en 1951 et toujours bien vivante aujourd’hui : LE BEAUJOLAIS NOUVEAU !
Mais qu’est-ce que c’est ?
LE BEAUJOLAIS NOUVEAU :
Histoire : Tout commence en 1951 quand un arrêté stipule que désormais les vins en AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) ne pourront plus être vendus avant le 15 décembre de l’année de la vendange.
Les vignerons s’insurgent bien évidemment de cette décision car leur procédé de vinification (appelé la macération carbonique ou semi-carbonique*) leur permettait de vendre une grande partie de leur vin quelques semaines après la vendange et favoriser ainsi une rentrée d’argent rapide !
On aboutit finalement à une autorisation de vente avant la date du 15 décembre pour les vins dits « primeurs » ( = jeunes, à boire dans les mois qui suivent la vendange) à condition que la mention « nouveau » figure sur l’étiquette.
La tradition est née !
Après des années de balbutiements, c’est en 1985 qu’il est décidé que la fête du beaujolais nouveau aurait désormais lieu le 3eme jeudi du mois de novembre. Il est totalement interdit de le commercialiser avant !
Si autrefois le beaujolais était acheminé jusqu’à LYON, la veille après minuit dans des tonneaux, c’est aujourd’hui environ 60 millions de bouteilles qui sont envoyées à travers le monde entier pour une célébration internationale ! Un tiers environ est exporté au Japon, suivi par les Etats Unis et le royaume Uni.
A quoi s’attendre :
Le beaujolais « nouveau » est un vin issu du gamay (raisin noir à jus blanc), à l’aromatique très ouvert sur les fruits rouges, c’est un vin léger, facile à boire, avec très peu de tanins. Il se sert un peu frais, aux alentours des 10/14 degrés.
C’est un vin fait pour la convivialité, à ouvrir facilement entre amis, famille, collègues… Il est simple mais agréable, non complexe mais festif, il véhicule les valeurs du vin de partage et de plaisir !
Côté cuisine, il s’invite partout avec une grande facilité ! Que vous soyez des adeptes de l’apéro, des buffets dinatoires, des plats de charcuterie tels que saucissons, boudins, cervelas, grattons, des burgers, des fromages et même des desserts ! (Pensez à pocher une poire dans ce jus gourmand, à l’associer avec un brownie au chocolat ; ça casse les codes mais que c’est bon !). Bref il sera le copain idéal et dévoilera avec humilité et panache son jus fruité et ses doux arômes, prémices du caractère des beaujolais de l’année que vous ne pourrez pas gouter avant l’année suivante !
Ces vins nouveaux, ayant subi une vinification très courte, sans élevage, sont révélateurs du climat et des saisons qui ont vu grandir leur raisin : Un été sec, baigné de soleil participera au développement des arômes de fruits noirs, d’épices et même de réglisse. A l’inverse une saison pluvieuse et fraîche accentuera sa texture légère et les notes de framboises par exemple.
Attention toutefois à ne pas réduire à Un seul la palette des beaujolais nouveaux qui, de part la diversité de ses sols, ses vignerons, et ses méthodes flamboient de toute leur personnalité
Revers de médaille :
Si son extraordinaire notoriété de par le monde a été une opportunité de communication d’envergure pour le beaujolais, elle en a aussi terni l’image.
L’ajout de levure chimique pour marquer le vin chaque année d’un gout différent, pour accélérer la fermentation et pouvoir commercialiser les vins plus tôt et les envoyer partout à travers le monde a été un procédé qui a en effet rendu le beaujolais « nouveau » populaire ;
mais au détriment de la valorisation et du prestige des crus du beaujolais, qui ont beaucoup souffert de cette discréditation.
Heureusement un grand nombre de domaines viticoles ont désormais adopté de bonnes pratiques, des jeunes bourrés de talent et des anciens fiers dans leurs bottes ont œuvré pour casser ce stéréotype, révéler le potentiel un peu méprisé jusqu’alors et proposent aujourd’hui de belles cuvées en « nouveau » ou en crus, aux saveurs multiples et reflets de ses nombreux terroirs !
Pour exemple, j’étais cette année à Chania en Crète où le 3eme jeudi de Novembre a été l’occasion de rassemblements autour du vin. Quel plaisir de profiter d’un Château Cambon, domaine mené par des maîtres du vin nature : des petits fruits rouges écrasés, un léger acidulé, une touche poivrée, une géo-sensorielle sur la silice, un plaisir assuré !
LES CRUS DU BEAUJOLAIS :
Le Beaujolais s’épanouit sur une diversité de terroirs : Plus argilo-calcaires au sud, plus granitiques au Nord.
Côté cépage: grande domination du gamay (97%) et un peu de pinot noir pour le rouge, chardonnay et aligoté pour le blanc.
On compte 12 appellations dont la première « beaujolais » date de 1937, et 10 crus dont je vous propose un petit tour comme si vous y étiez :
Brouilly :
S’apprécie dans sa jeunesse, souple, tendre
2. Chénas
La plus petite appellation du beaujolais. Voisin du Moulin à vent, avec un sous-sol de granit qui sait réveiller le palais de saveurs épicées, vin favori de Louis XIII, vin de garde généreux, tendre en bouche. Rose rubis teintée de grenat, un corps charpenté, notes florales de pivoine et d’épices.
3. Chiroubles
Vignes les plus hautes du beaujolais (entre 250 et 600 m) qui profite des très fréquents bains de soleil qui procurent à ce vin fin, tendre et délicat cette gourmandise et ce parfum si reconnaissable.
4. Côte de Brouilly
Sol de granit bleu au sommet du Mont Brouilly, vin plus complexe, plus dense, plus concentré structuré qui se révèle avec le temps.
5. Fleurie
Sur sol de granit rose, et adossée à une chaîne de crêtes, c’est appellation la plus féminine, vin fin, élégant, au toucher de bouche velouté, célèbre pour sa Madone sur une chapelle.
6. Juliénas
Vin ferme, puissant. Valeur sure du beaujolais sur une diversité de sols impressionnante.
7. Morgon
Appellation la plus étendue. Riche, corsé, capiteux, apte au vieillissement jusqu’à 10 ans sans problème ! Robe grenat profond, vin sur des notes de fruits à noyaux, aux notes de kirsch.
Le lieu LA COTE DU PY, au terroir de roches décomposées de schistes bleus, friables est particulièrement riche, charnu et puissant, sa robe d’un grenat profond, un nez sur les cerises, les abricots, les prunes, les fruits rouges écrasés, ses tanins délicats. Il séduit par sa plénitude en bouche et se bonifiera avec le temps. Sa colline est reconnaissable par son CHENE qui semble avoir toujours été là !
8. Moulin à vent
Son moulin, entouré d’un écrin de vignes est désormais classé monument historique. Racé, complexe, aux notes boisées et de rose fanée, aux tanins plus fermes, plus affirmés, le plus puissant des beaujolais avec un sol de manganèse. Très beau potentiel de garde.
9. Régnié
Léger, fruité, aromatique, très proche de Brouilly, un des derniers à avoir eu la dénomination de cru. L’église du village de Régnié-Durette a la particularité d’avoir 2 clochers édifiés selon les plans de l’architecte Pierre Bossan qui réalisera ensuite la Basilique de Fourvière…
10. St Amour
Puissant, fin, long en bouche, surfant sur des arômes de baies. Le plus nordique des crus. Cette adorable appellation célèbre aussi les amoureux et Cupidon y est représenté partout. Ce qui ne gâche rien à la balade !
Les accords mets-vins sont bien évidemment régionaux avec la fameuse rosette de Lyon et autres saucissons, les andouillettes, les grattons, mais aussi le poulet froid ou tarte aux oignons confits, par exemple !
Sa faible teneur en tanins lui permet aussi de s’accorder avec nos fromages de région, tels le St Marcellin, St Félicien, Tomme du beaujolais, Bleu de Bresse, Cervelle des canuts, Charollais, le reblochon qu’on peut aussi gratiner (miam), le Brillat-savarin, le fromage à raclette, un St Nectaire accompagné de sa confiture de framboise.
Les desserts ne sont pas en reste non plus : quoi de mieux qu’un verre de beaujolais pour trinquer avec une poire pochée au vin chaud, une tarte à la praline, un brownie au chocolat…
Je ne peux bien évidemment terminer ce petit exposé sans vous parler des blancs du beaujolais, ces chardonnays de plus en plus appréciés, reconnus et recherchés ! N’oubliez surtout pas de les gouter…Jouer les vins de négoce des bourguignons c’est bien, s’émanciper c’est mieux ! Et c’est bien fait.
Des expérimentations sont actuellement en cours sur d’autres cépages, afin de répondre aux inévitables futures contraintes environnementales : pour exemple le viognier et le gewurztraminer en blanc, la syrah, le gamaret (croisement gamay – reichensteiner), le picarlat (croisement pinot noir et cabernet sauvignon), choisis pour leur adaptabilité et leurs résistances aux maladies.
Le vin ne se fait pas sans vigneron, il convient donc de rendre hommage à quelques noms emblématiques et incontournables du beaujolais, adeptes du vin nature ou traditionnel, et qui ont tellement participé à cette reconnaissance planétaire :
Domaine Marcel Lapierre, Jean Foillard, Jean-Louis Dutraive, David Large, Château Thivin, Frédéric Berne, Domaine Chamonard, Domaine Rostaing Tayard, Jean-Claude Lapalu, Georges Duboeuf, Dominique Piron, Château de la Chaize…
Quelques dégustations personnelles pour vous donner l’eau à la bouche :
TOXIC – The toxic gamay’nger -2020 - David Large - VDF
J’avais adoré son Nelson blanc, du coup l’envie d’ouvrir une autre bouteille plutôt en rouge m’a démangée ! J’avoue que si j’ai d’abord été séduite par le visuel de la bouteille, c’est bien son jus qui m’a bluffée et apporté un plaisir non dissimulable !« glou-glou, vin de copain, d’apéro… »sont les termes que j’ai souvent pu lire sur ce vin. Et franchement, même si ce vin est un petit bijou de buvabilité, de fruit et de vivacité, ce n’est pas les substantifs qu’il m’inspire.
Sa couleur tirant sur la prune, tout autant que son nez, associée à des arômes de cerises, de fond de tabac ( toxic !), un jus, du fruit,, qui passe dans votre palais, votre gorge puis votre corps telle une boule tourbillonnante, une terre en rotation, quelque chose de présent avec de la matière et des choses à dire ! P…C’est bon
Le clos des Lys – Domaine Chamonard- AOC MORGON – 1997
Au creux de l’hiver, quoi de mieux qu’une revigorante gratinée à l’oignon , préparée avec des oignons doux, des jaunes d’œuf et du porto, servie avec des croutons grillés et gruyère rapé, et le délicieux accord d’un subtil gamay de 23 ans qui avait gardé toute sa fraicheur d’antan ! Clin d’œil au Chat !
Raisins gaulois – Domaine Lapierre – 2019- VDF
Un classique bio …dont on ne se lasse pas ! Un sourire dès la vue de l’étiquette, un nez comme plongé dans une corbeille de fruits, une bouche émoustillée, chouchoutée, caressée par ce pur jus.
On le dit « vin de copain » je me demande pourquoi ? Peut-être parce que le plaisir est immédiat, sans chichi, accessible à tous, .entre copains, entre voisins, en couple, en famille ou en milieu pro, c’es bien fait et simplement bon.
DROIT DE VETO – 2019- Domaine Chamonard – AOC Fleurie
Le retour de vacances au soleil est toujours un peu compliqué, rien de tel qu’un beaujolais bien de chez nous pour replonger direct dans ses racines viticoles et accepter la transition du paysage et du rythme de vie.
Lors d’un repas partagé avec le Chat (Jean-Claude Chanudet, grande figure du beaujolais ), chacun y était allé de sa bouteille et Jeanne sa fille qui a désormais les rênes du domaine avait amené sa toute première cuvée « droit de veto ». Je me rappelle en avoir pris une bouteille pour le souvenir de cette belle journée et la curiosité de voir ce que promettait la relève !
Ce retour de vacances était le bon jour pour ouvrir ce fleurie 2019.
Comment dire, il y a le beaujolais fringant, fruité, le copain des bons moments et il y a les grands gamays, ceux qui se sentent et se ressentent, laissent leur race, et celui de Jeanne est de cette trempe.
Il n’est pas bon, mais très très bon, des framboises, du cassis, des fleurs, des tanins qui vous caressent la bouche, il déborde de fruits, déborde d’envie, déborde d’excitation à nous donner…on se demande où est la madone dans le coin…
Quelle surprise et en même temps quel regret d’avoir ouvert cette bouteille que j’aurais bien goutée encore plus tard.Car contrairement à ce que l’on croit, un beaujolais ça vieillit bien aussi..
Droit de veto est un hommage aux études vétérinaires que Jeanne a suivies et j’ai même entendu dire que ce sont des étudiants vétérinaires qui ont participé aux vendanges manuelles évidemment !
Ere cuvée et déjà un monument du beaujolais nature
Lancez donc les invitations sans attendre, à vos verres et vive le beaujolais !
La macération carbonique ou semi-carbonique : Pour faire simple les grains de raisins entiers (non écrasés, non pressés) sont mis dans une cuve dont on ferme le couvercle. La cuve est saturée en gaz carbonique et une fermentation se déclenche spontanément à l’intérieur même des baies de raisin. Le peu de jus qui en sort est soutiré au fur et à mesure que les raisins s’écrasent.
Pour la fermentation semi-carbonique qui est aujourd’hui la plus pratiquée, on ne remplit pas la cuve, les raisins du dessus flottent au-dessus du jus et écrasent ceux du dessous ; le jus qui s’en libère va fermenter, créer en même temps du gaz carbonique et déclencher une fermentation intracellulaire à l’intérieur du raisin ; il résulte de ce procédé très rapide un vin au goût intense de fruit, léger, très souple en bouche et avec peu de tanins.